1996 – Rapport Jury Etienne Pays


R
emise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Albert II
à la Fondation Universitaire le 20 Juin 1996

Curriculum Vitae – Activités scientifiques – Rapport du Jury – Discours

Etienne Pays

 

Curriculum Vitae

Date of birth: November 2, 1948.
Address: 19, place Saint Vincent, 1457 Nil St. Vincent, Belgium.
Married, one daughter

Diplomas

– 1ère candidature Biologie (Univ. Louvain) 1966-67, Grande Distinction
– 2de candidature Biologie (Univ. Louvain) 1967-68, Grande Distinction
– 1ère licence Zoologie (Univ. Brussels) 1968-69, Grande Distinction
– 2de licence Zoologie (Univ. Brussels) 1969-70, La Plus Grande Distinction
– Doctorat Sc. Zoologiques (Univ. Brussels) 1974, La Plus Grande Distinction
– Agrégé de l’Enseignement Supérieur (Univ. Brussels) 1984

Occupations

– Stagiaire FNRS: 1970-71
– Aspirant FNRS: 1971-75
– Contract ULB: October 1975-December 1975
– Unemployment: January 1976-April 1976
– Contract asbl SMIB-ULB: May 1976-March 1977
– Concerted Action State-ULB: April 1977-December 1984
– « Long-term » EMBO fellowship: October 1977-September 1978
– Chef de Travaux ULB: January 1985
– Agrégé de Faculté ULB: January 1988
– Professeur Ordinaire ULB: January 1998
– Co-Director (October 1991), then Director (October 1992) of the Laboratory
  of Molecular Cytology and Embryology. In 1993, name converted into
  Laboratory of Molecular Parasitology.

Honorary distinctions

– Membre titulaire de l’Académie Royale de Médecine de Belgique
– Membre du Comité national de Biochimie et Biologie Moléculaire
– Chevalier de l’Ordre de Léopold

Scientific distinctions

– Léon et Henri Frédéricq Prize (Academy of Sciences, Brussels) 1983
– Albert Dubois Prize (Academy of Medicine, Brussels) 1986
– Adolphe Wetrems Prize (Academy of Sciences, Brussels) 1990
– Mohamed El Fasi Prize (Haut Conseil de l’AUPELF/UREF, Paris) 1990
– Merck, Sharp & Dohme Prize (FNRS, Brussels) 1992
– Francqui Prize (Francqui Foundation, Brussels) 1996
– Carlos J. Finlay Prize (UNESCO, Paris) 1997
– Francqui Chair (Vrije Universiteit Brussel) 1999
– Nomination for the International Research Scholars Program of the Howard
  Hughes Medical Institute (USA) 1999
– Quinquennal Prize for fundamental biomedical sciences (FNRS, Brussels)
  2000
– Member of the Scientific Council of the Pasteur Institute (Paris) (2001-
  2004)
– Member of the « Collège d’examinateurs du Programme des chaires de
  recherche du Canada »
     (2004)
– Member of the Advisory Board of the Cochin Institute (Paris) (2005)
– Member of the Scientific Council of the Institute of Microbiology and
  Physiology, Université Joseph Fourier, Grenoble (2001)
– Member of the Belgian Society of Tropical Medicine (1990)
– Member of the British Society for Parasitology (1990)
– Board member of the Belgian Society of Biochemistry and Molecular Biology
  (2000)
– Member of the « Commission Biochimie-Biologie Moléculaire » of the
  FNRS/FWO and jury member at the FRIA (1993-2002)
– Member of the Scientific Council of the DEA « Expression Génique chez les
  Microorganismes et les Parasites » (Orsay and Lille, France)
– Member of the Steering Committee “GPH 1” (Pasteur Institute, Paris)
  (2004- )
– President of the Scientific Council of the Erasme Foundation (Brussels)
– Board member of BioVallée asbl
– Board member of the Brachet Foundation (Brussels)
– Board member of the Lambertine Lacroix Foundation (Brussels)
– President of the Belgian Society of Protozoology (1993-1996)
– Expert (Department of Immunology, Pasteur Institute, 1988, 1992 ; STD3
  Program of the EU, 1991, 1992, 1993; AUPELF-UREF (Paris), 1995,
  1996,1997,1998,1999; WHO; Wellcome Trust (London); NATO; Ministry of
  Cooperation (France), 1995, 1996, 1997, 1998, 1999; ARC Paludisme
  (Agence des Universités Francophones, Paris); UPRES A 6023
  (Biologie des Protistes, Université Blaise Pascal, Clermont II, France); IFR
  M. Prensier (Univ. Clermont-Ferrand); CNRS (Comité ATIP Microbiologie).
– Referee (Cell, Nature, the EMBO Journal, Molecular and Cellular Biology,
  Nucleic Acids Research, European Journal of Biochemistry, Molecular and
  Biochemical Parasitology, International Journal of Parasitology, Gene,
  Infection and Immunity, Parasitology, Experimental Parasitology, Trends in
  Parasitology, Molecular Microbiology, Journal of Cell Science, Eukaryotic
  Cell, Molecular Biology of the Cell)
– ‘Guest Editor’ of Molecular and Biochemical Parasitology, Special Issue 91,
   1 (1998)
– Member of the Editorial Board of « Microbes and Infection » (Pasteur
  Institute, Paris)

Work periods abroad

– INSERM Virology Unit, Lille, France, april 1973
– Beatson Institute for Cancer Research, Glasgow, UK, 1977-1978
– Laboratory of Prof. P. Chambon, Strasbourg, France, April and October 1979

Academic activities

– President of the Institute of Molecular Biology and Medicine (IBMM) (2006-
  2008)
– Direction of Master theses : 56 in 2006
– Direction of PhD theses : in 2005, 18 completed, 5 under way
– Teaching : Biologie Moléculaire des Parasites (15h) (2de Licence Zoologie
  and Licence Spéciale en Biologie Moléculaire)
– Jury member for many PhD theses (ULB, VUB, UCL, Univ. Namur, Pasteur
  Institute Lille, Pasteur Institute Paris, Univ. Bordeaux, Univ. Cambridge,
  Univ. Clermont-Ferrand …)
– President of the « Comité des Bourses » of the Brachet Foundation

* * *

Activités scientifiques

La variation antigénique et le problème du vaccin contre les trypanosomes africains.

Introduction
Les trypanosomes africains sont des parasites unicellulaires responsables de la « maladie du sommeil » chez l’homme et d’une maladie des ruminants, la « Nagana ».  Cette dernière est très répandue, décime le cheptel et est le facteur principal de la malnutrition protéique qui sévit en Afrique Centrale.  Les infections par trypanosomes (trypanosomiases) peuvent donc être classées parmi les plus graves fléaux du continent africain.

Les trypanosomes sont inoculés dans le sang des mammifères par piqûre de la mouche qui est leur vecteur, la mouche tsé-tsé.  Le mammifère se défend en synthétisant des anticorps contre la protéine majeure de surface du parasite, appelée « Variant Surface Glycoprotein » ou VSG.  Cependant, le trypanosome a la capacité de modifier sans cesse cet antigène de surface, et parvient ainsi à échapper à l’extermination par le système immunitaire de l’hôte.  Le jeu continuel entre ce mécanisme, dit de variation antigénique, et la réponse de l’hôte a pour effet de limiter en permanence le nombre des parasites dans le sang, ce qui prolonge la survie de l’hôte suffisamment pour permettre la transmission des trypanosomes à l’hôte suivant, la mouche tsé-tsé.  La variation du VSG provoque donc le développement d’infections chroniques de longue durée, et constitue bien évidemment un obstacle majeur au développement d’un vaccin contre les trypanosomiases.

Mécanismes génétiques de la variation antigénique.
Dans l’optique de la lutte contre les trypanosomes, il était primordial d’élucider les mécanismes de la variation antigénique du parasite.  Nos travaux ont contribué à la découverte des processus génétiques responsables.  A tout moment, un seul gène de VSG est transcrit parmi les quelque 1000 gènes de VSG présents dans le génome du trypanosome.  Cette transcription a toujours lieu dans un « site d’expression » situé en bout de chromosome (télomère).  Alors que plusieurs télomères peuvent alternativement servir de site d’expression, un seul est utilisé à la fois.  La variation antigénique se produit soit par réarrangement du gène de VSG transcrit (recombinaison de l’ADN), soit par changement de site d’expression.  Grâce à ces mécanismes, le trypanosome est capable de produire constamment de nouveaux gènes de VSG en réassortissant des morceaux d’autres gènes.  L’analyse de ces différents processus a conduit à la conclusion que le potentiel de variation du VSG est illimité.  Il est à noter que ces travaux ont également fourni une moisson d’informations sur les processus de recombinaison, de copie, de modification et de transcription de l’ADN situé en bout de chromosome (ADN télomérique).

Mécanismes de la différenciation cellulaire.
Au cours de son cycle de développement dans la mouche puis dans le sang des mammifères, le trypanosome subit des transformations importantes (différenciation cellulaire) qui lui permettent de s’adapter aux conditions très différentes de chaque environnement.  Nous avons entrepris l’analyse des contrôles génétiques qui président à ces transformations.  Ce travail a révélé une organisation originale du génome chez les trypanosome qui, à cet égard, se distingue totalement des autres eucaryotes (organismes pourvus d’un noyau cellulaire).  En effet, le génome du trypanosome est organisé en unités de transcription polygéniques constituées de batteries de différents gènes transcrits conjointement.  Le niveau relatif d’expression de chaque gène, dont dépend la différenciation du parasite, est déterminé lors des étapes conduisant à la production des différents ARNs messagers individuels à partis des ARNs polygéniques initiaux.  Ces découvertes ont un intérêt fondamental car elles permettent de mieux comprendre certains des processus impliqués dans l’expression de l’information génétique de toutes les cellules.

Protéines de surface non variables, et perspectives de vaccination.
L’analyse de la fonction des différents gènes présents dans l’unité de transcription polygénique du gène de VSG nous a conduit à découvrir plusieurs protéines de surface non variables, dont l’activité est indispensable à la croissance du parasite.  Tel est le cas de différentes adénylate cyclases possédant une structure de protéines réceptrices, et d’un nouveau type de récepteur pour la transferrine sérique, qui porte le fer nécessaire à la vie du trypanosome.  Comme d’autres récepteur de surface, ces protéines sont regroupées dans un repli particulier de la membrane du parasite, appelé « poche flagellaire ».  Nos derniers résultats suggèrent que certaines des protéines présentes dans ce repli pourraient favoriser le développement d’une immunité protectrice, intéressante dans l’optique d’une vaccination contre les trypanosomiases.

* * *

Rapport du Jury (13 Avril 1996)

Considérant l’impact que l’élucidation des mécanismes de la variation antigénique chez les trypanosomes a eu sur la compréhension des stratégies par lesquelles les micro-organismes échappent aux défenses immunitaires de leurs hôtes, ainsi que l’importance de ces découvertes sur la santé dans les pays en voie de développement;

considérant les progrès effectués dans la caractérisation d’unités de transcription polycistroniques et la régulation de l’expression génique au niveau post-transcriptionnel chez des cellules eucaryotiques, ainsi que l’importance de ces découvertes pour le compréhension des mécanismes de différenciation cellulaire;

propose que le Conseil d’Administration de la Fondation Francqui décerne le Prix Francqui 1996 au Professeur Etienne PAYS de l’Université Libre de Bruxelles.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Howard RASMUSSEN
Professor and Director Institute for Molecular Medicine and Genetics

Medical College of Georgia
Augusta, Georgia – USA
                                                                           Président

et

Le Professeur Lorne BABIUK
Director of the Veterinary Infectious Disease Organization

University of Saskatchewan
Saskatoon, Saskatchewan – Canada

Le Professeur Allan BALMAIN
Professor of Molecular Oncology

University of Glasgow
UK

Le Professeur Brian F.C. CLARK
Professor at the Aarhus University

Department of Biostructural Chemistry
Aarhus – Danemark

Le Professeur Norbert E. FUSENIG
Professor at the Deusches Krebsforschungszentrum

Heidelberg – Allemagne

Le Professeur Félix M. GONI
Professor at the University of Basque Country

Department of Biochemistry
Bilbao – Espagne

Le Professeur P. Helena MAKELA
Research Professor Departement of Vaccines

National Public Health Institute
Helsinki – Finlande

Le Professeur Peter PROPPING
Professor and Director of the Institut für Human genetik

Rheinische Friedrich-Wilhems-Universität
Bonn – Allemagne

Le Professeur R. VAN DE WATER
Professor of Otolaryngology & Neuroscience

Albert Einstein College of Medicine
Bronx, New York – USA

Le Professeur H. VOORHEIS
Professor at the University of Dublin

Senior Lecturer in Biochemistry
Trinity College
Dublin – Irlande

Le Professeur C. WEIR
Professor at the Joslin Diabetes Center

Harvard Medical School
Boston, Massachusetts – USA

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Discours du Baron Jacques Groothaert,
Président de la Fondation Francqui

Sire,

Eens te meer valt mij de eer te beurt Uwe Majesteit de gevoelens van eerbiedige dankbaarheid aan te bieden die de leden van de Raad van Bestuur van het Francqui-Fonds de Koning toedragen.

Dankbaarheid voor de levendige belangstelling die Hij aan de dag legt voor het wetenschappelijk onderzoeken en voor alwie zich voor de vooruitgang van de wetenschappen inspant : ook en niet minst voor Zijne aanmoedigende aanwezigheid op deze jaarlijkse plechtigheid.

Wij gaan beslissende jaren tegemoet.  Dit zijn voor ons allen tijden van grote verwachtingen, maar ook van bekomernis en onzekerheid.

In een wereld die door globalisering en interdependentie wordt gekenmerkt, ziet Europa zich geplaatst voor de uitdagingen van de technologie en de concurrentie – en telkens zijn dit uitdagingen op het gebied van de dimensie en de middelen : deze die de technologische moderniteit vereist.

Europa bezit in oververvloed de grondstof van de toekomst : creatieve intelligentie.  Zij blijft echter in gebreke wanneer het er op aan komt deze te valoriseren – en dit wegens de versnippering van de inspanningen en de vermogens.  Voor de Europese Unie is hier een prioritaire taak aanwezig, en wij verwachten dat hiervan werk wordt gemaakt.

Herhaaldelijk hebben mijn voorgangers en ik, bij deze jaarlijkse plechtigheid, aan onze bezorgheid uiting gegeven in verband met de angstwekkende toestand van het wetenschappenlijk onderzoek in ons land.  Het is wel overbodig te wijzen op het niet ondenkbaar gevaar dat voor het ontbreken van de nodige financiële middelen en van een hierbij gepaard gaande voluntaristische politiek, België zich meer en meer zal zien geplaasts in de categorie van wetenschappelijk onderontwikkelde landen.

Nous avons pour devoir de répéter ce cri d’alarme, de mettre en garde les responsables, de plaider pour moins de dispersion des compétences, pour plus de concertation et de cohérence dans un domaine aussi vital que celui de la recherche scientifique, de l’enseignement et de la formation.

Nous devons tout mettre en oeuvre pour éviter et contrecarrer la « fuite des cerveaux » en un moment crucial de l’évolution de nos sociétés où plus que jamais, la matière première la plus importante est la matière grise.

Récemment encore, les voix les plus qualifiées se sont fait entendre pour plaider cette cause essentielle.  Qu’il me soit permis de citer à cet égard ce qu’en disait un de nos Lauréats du Prix Noble, le Professeur Christian de Duve : « Il importe de dénoncer l’attitude parfois prise par de petits pays comme la Belgique qui trouvent que nous devrions laisser la recherche fondamentale aux autres et attendre simplement que les découvertes se fassent ailleurs.  Ce n’est pas seulement un calcul sordide; c’est une politique à courte vue, suicidaire à long terme.  La recherche fondamentale est effectuées dans les universités en association directe avec l’enseignement et la formation.  Un pays qui ne soutient pas une recherche fondamentale de qualité dans ses universités bientôt ne produira plus de chercheurs, les ingénieurs et autres experts de haut niveau qu’exige la société moderne.  Il est condamné à la stagnation si pas au sous-développement.  De plus, l’expérience à montré tant et plus que les nouvelles industries sont généralement créées près des institutions de recherche où les découvertes qui ont mené aux nouvelles technologies ont été faites.  L’histoire de la biotechnologie moderne l’illustre de manière éclatante ».

Il n’est est que plus remarquable et encourageant de constater combien, dans des conditions précaires, savants, chercheurs, professeurs de nos institutions universitaires poursuivent une activité dont la très haute qualité est soulignée par leurs collègues étrangers qui en prennent connaissance.  J’en veux pour témoignage la déclaration du Jury du Prix Francqui 1996, qui c’est dit « extrêmement impressionné par le haut niveau international des travaux scientifiques de chacun des candidats et y voit le reflet du niveau remarquable de la recherche dans les sciences biologiques et médicales de Belgique.

Le Jury, reconnaissant ses mérites tout particuliers, a proposé à notre Conseil d’Administration l’octroi du Prix Francqui 1996 au Professeur Etienne Pays, Directeur depuis 1992 des laboratoires de Parasitologie Moléculaire de l’Université Libre de Bruxelles, titulaire de nombreuses et prestigieuses distinctions scientifiques, membre d’importantes sociétés scientifiques à l’étranger, invité par sa haute compétence à de nombreuses réunions scientifiques de premier ordre.

Qu’il plaise au Roi de consacrer la désignation du Professeur Etienne Pays comme Lauréat du Prix Francqui 1996 en lui remettant le diplôme de notre institution.

* * *

 Discours du Professeur Etienne Pays

Sire,

C’est avec un sentiment mêlé de très grande émotion, d’honneur et de profonde gratitude que je reçois le diplôme du Prix Francqui des mains de Votre Majesté.  Jamais je n’avais espéré voir ma passion pour la recherche aboutir à une reconnaissance aussi solennelle.  En ce jour, je me fais le porte-parole de tous ceux, encore nombreux, qui sont animés par le besoin sans cesse inassouvi de repousser les limites du connu, et dont les difficultés matérielles n’érodent pas l’enthousiasme.  Je voudrais dire combien l’intérêt de Votre Majesté représente un formidable encouragement.  Dans un monde soumis constamment aux contraintes des besoins économiques, une volonté aussi clairement exprimée de soutien pour la recherche pure et désintéressée ne peut être qu’une source de réconfort et d’optimisme.

Sire, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs

Il pourra paraître paradoxal qu’à l’approche de la cinquantaine, et en un moment aussi accompli de ma carrière professionnelle, c’est vers les guides de mes années d’enfance que va spontanément ma pensée.  Je vois mes parents, si heureux aujourd’hui, qui se sont sacrifiés pour nous assurer, à moi, à mon frère et à mes soeurs, une vie meilleure que la leur.  Je vois mon maître de l’école primaire, Monsieur Versonne, qui m’a insuflé le goût du travail, la volonté de vaincre et la passion de connaître.  C’est à eux que je dois mes interrogations sur le pourquoi et le comment de la vie.  C’est à eux que je dois de plonger quotidiennement dans le bonheur de chercher à savoir.  Beaucoup plus tard, le hasard du destin fit croiser ma route avec celle du Professeur Maurice Steinert dans le laboratoire du regretté Professeur Jean Brachet à l’Université de Bruxelles.  Rentré d’Afrique, le Professeur Steinert étudiait un parasite responsable de graves fléaux de ce continent, à savoir le trypanosome africain.  La rencontre avec Maurice Steinert fut la chance de ma vie.  Comment pourrais-je rendre compte de tout ce que je dois à celui qui m’initia aux mystères du trypanosome, et m’accompagna si efficacement pendant plus de dix ans dans cette prodigieuse aventure scientifique, toujours inachevée mais combien riche en surprises.  Je me rappelle avec émotion les premières années de ce travail, où notre laboratoire vivait en totale symbiose avec les groupes internationalement réputés de l’Institut de Médecine Tropicale à Anvers, en particulier les laboratoires des Professeurs Nestor Van Meirvenne et Dominique Le Ray.  Il est évident que ce n’est que grâce à la complicité de tous ces partenaires que les découvertes ont pu avoir lieu.  Egalement, je suis redevable à tous mes collaborateurs, jeunes et moins jeunes, qui en dépit de conditions souvent difficiles, ont contribué avec passion au progrès constant des recherches jusqu’à ce jour.  Le temps m’empêche de citer des noms en particulier, ils sont si nombreux.  Toutefois, je tiens à remercier publiquement la compréhension et l’assistance précieuse de mon épouse, Annette, qui au fil des années est devenue le véritable pilier de mon groupe de recherche. Il m’est aussi très agréable de souligner combien l’intervention de Gilbert Vassart me fut utile au tournant majeur de ma carrière, lorsque je me suis dirigé vers le génie génétique.  De même, je n’oublie pas les autorités de l’Université de Bruxelles, en particulier messieurs Dejean et Berliner, qui m’ont efficacement aidé lors de l’une ou l’autre des phases difficiles que j’ai rencontrées.  C’est bien entendu aussi à tous ces collaborateurs et amis que revient le mérite de la distinction qui m’honore aujourd’hui.

L’aventure scientifique que je viens d’évoquer a comméncé par une enquête destinée à comprendre comment les trypanosomes africains échappent à la surveillance du système immunitaire de leur hôte.  On sait depuis David Bruce, il y a tout juste cent ans, que ces parasites développent des infections chroniques, souvent mortelles, chez de nombreux mammifères dont l’homme.  Outre la maladie du sommeil, qui encore aujourd’hui tue plusieurs dizaines de milliers de personnes par an, les trypanosomes provoquent chez les ruminants une maladie létale appelée Nagana, qui empêche l’élevage du bétail sur plus d’un tiers du continent africain.  Chacun imaginera sans peine l’importance du dégât causé par ce parasite en termes de manque de production de viande et de lait, ainsi que tous les dérivés de l’élevage du bétail, et le problème majeur de santé publique dû à la malnutrition sur des étendues aussi considérables.  Une caractéristique très remarquable du trypanosome, découverte dans les années septante, permettait d’imaginer comment cet organisme unicellulaire primitif arrivait à défier si efficacement les systèmes de défense particulièrement sophistiqués de l’hôte.  Le trypanosome est en effet complètement recouvert d’une enveloppe dense constituée de quelques 10 millions de molécules d’une même protéine appelée VSG, pour « Variant Surface Glycoprotein » ou glycoprotéine variable de surface.  Cette protéine, véritable leurre pour le système immunitaire, suscite une réponse rapide et efficace de l’hôte, aboutissant à l’éliminiation de la majorité des parasites présents dans le flux sanguin.  Cependant, le trypanosome est capable de changer régulièrement la nature antigénique de ce VSG, ce qui permet en permanence à quelques individus, revêtus d’un nouveau manteau antigénique, d’éviter la reconnaissance par les anticorps dirigé contre le VSG précédent, et donc de relancer l’infection.  C’est ainsi, en changeant continuellemet de spécificité antigénique du VSG, que ce parasite anticipe la réponse de l’hôte tout en profitant de cette réponse pour limiter sa propre croissance, créant les conditions indispensables au développement d’infections de longue durée.  Nous avons entrepris de décortiquer les mécanismes génétiques impliqués dans ce phénomène.  C’est ainsi que nous sommes tombés de découverte inattendue en autre découverte inattendue.  Sans entrer dans les détails, il me suffira de signaler qu’à tout moment, un seul gène de VSG est exprimé au sein d’un répertoire de plus de mille gènes de VSG différents.  Ce gène est installé dans l’un des multiples sites d’expression dont dispose le parasite, tous ces sites étant curieusement localisés à l’extrémité de chromosomes.  A cet endroit, le gène est la cible préférentielle de recombinaisons de l’ADN, qui entraînent des changements fréquents de séquence des acides aminés de l’antigène, source de variation antigénique.  En outre, par l’activation alternative des différents sites d’expression, le trypanosome est également capable de changer de VSG sans avoir recours à des recombinaisons de l’ADN.  La nature et l’utilisation successive de ces différents mécanismes expliquent largement comment le trypanosome échappe aux anticorps.  Ces découvertes nous ont permis de supposer que le potentiel de variation du parasite est au moins équivalent au potentiel de fabrication d’anticorps par l’hôte, constatation bien entendu désesperante dans l’optique d’une lutte contre le parasite.

C’est alors, vers le milieu des années quatre-vingt, que nous nous sommes orientés vers d’autres recherches de caractère à priori encore plus académique.  Nous verrons rapidement combien ces recherches non focalisées sur l’application pratique se sont en définitive révélées très appréciables sur ce terrain également.  Ce que nous avons entrepris de chercher à comprendre, c’est par quels mécanismes génétiques le trypanosome se différence lors de son développement cyclique, lorsqu’il est transféré du mammifère à la mouche Tsé-tsé et vice-versa.  Il faut savoir qu’à ce jour pratiquement rien n’est connu des processus par lesquels les parasites se transforment pour s’adapter à leurs hôtes successifs, et c’est particulièrement le cas des protozoaires parasites.  A ce titre, le cycle de vie du trypanosome représente un modèle d’étude presque idéal pour le biologiste moléculaire.  Nous avons rapidement constaté que chez cet organisme eucaryotique, c’est-à-dire pourvu d’un noyau cellulaire du même type que le nôtre l’organisation et l’expression des gènes présentaient une originalité tout à fait remarquable.  En effet, au lieu d’être contrôlés individuellement, les gènes du trypanosome sont regroupés en longues batteries multigéniques chacune d’un unique promoteur de transcription.  En conséquence, chez le trypanosome, la régulation de l’expression génique, dont dépend la différenciation cellulaire permet tant l’adaptation du parasite, fait appel à des mécanismes fort différents de ceux des autre eucaryotes.  Il me plaît cependant de signaler ici que l’analyse de certains de ces mécanismes s’est avérée fort utile pour mieux comprendre les processus à l’oeuvre dans nos propres cellules, ce qui illustre par quelles voie détournées la connaissance s’enrichit.  Ayant donc constaté que le gène du VSG est associé à plusieurs autres gènes dans une même unité de transcription, nous nous sommes tout naturellement intéressés à la fonction de ces derniers gènes.  Et c’est ici, de façon totalement inattendue, que les voies du destin nous ont remis sur la piste de nouvelles stratégies de lutte contre le parasite.  En effet, nous avons découvert que certains des gènes associés au gène de VSG codaient pour la synthèse de récepteurs de surface, molécules peu abondantes mais non variables et cruciales pour la croissance du trypanosome.  Outre l’intérêt intrinsèque de leur caractérisation, l’étude de ces récepteurs et de leur localisation cellulaire nous a permis d’entrevoir de nouvelles possibilités de vaccination, et même d’obtenir récemment des résultats très encourageants dans ce domaine.

Sire,

Comme ce bref survol de nos recherches l’aura indiqué, rien n’est plus important pour progresser que l’enthousiasme, la volonté d’entreprendre et l’ouverture d’esprit.  J’ai eu l’insigne chance de côtoyer des maîtres et des collaborateurs animés de ces précieux dons.  Puisse la Belgique, en dépit des difficultés économiques, continuer à assurer un espace de liberté suffisant pour permettre l’épanouissement de ces qualités, gages essentiels d’un avenir meilleur.

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