1987 – Rapport Jury Jacques Urbain


R
emise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le 18 juin 1987

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

 

Jacques Urbain

Curriculum Vitae

Né à Liège, le 8 novembre 1943

Diplômes Universitaires :

Licence en sciences Zoologiques, Université Libre de Bruxelles, 1965
Thèse de Doctorat, 1970

Fonctions :

Professeur à charges complètes, Université Libre de Bruxelles, 1982
Professeur ordinaire et titulaire de la Chaire de Physiologie Animale, Université Libre de Bruxelles, 1984

Curriculum vitae :

Stagiaire du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1965-1967
Aspirant du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1967-1971
Chargé de Recherches du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1971-1975
Titulaire du cours de Physiologie Animale Générale, 1974
Directeur du Laboratoire de Physiologie Animale, 1977
Prix L. Frédéricq de l’Académie Royale de Belgique, 1985
Chaire Francqui (Faculté de Médecine, Vrije Universiteit Brussel, 1985-1986
 

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Rapport du Jury (25 avril 1987)

Considérant que le Professeur Jacques URBAIN a accompli une recherche particulièrement originale dans un domaine nouveau et important de l’immunologie : l’idiotypie;

considérant que l’oeuvre de Jacques URBAIN a constamment allié des constatations expérimentales rigoureuses et des concepts nouveaux et créateurs; qu’il a ouvert la voie à une conception nouvelle de la régulation des réponses immunologiques, à des manipulations expérimentales du système immun qui mènent déjà à une application potentielle en médecine : les vaccins dits de troisième génération, faisant appel aux anticorps anti-idiotypiques au lieu des antigènes;

considérant que le travail de Jacques URBAIN est particulièrement remarquable car il possède à la fois des implications théoriques, des implications en biologie générale et des applications possibles en médecine;

considérant que l’un des points remarquables est que ce jeune chercheur a réalisé une grand oeuvre scientifique d’abord en solitaire puis avec une équipe, restreinte et dynamique qu’il anime avec beaucoup de succès;

décide d’attribuer le Prix Francqui 1987 à Monsieur Jacques URBAIN, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur TRUHAUT
Professeur émérite Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques
Université René Descartes
Membre de l’Institut de France (Académie des Sciences)
Académie Nationale de Médecine
Paris – France
                                                    Président

et

Le Professeur Sir Edward P. ABRAHAM
Professeur émérite de la Sir William Dunn School of Pathology
University of Oxford
UK

Le Professeur Karl CANTELL
Professeur au National Public Health Institute
Helsinki – Finland

Le Professeur Hans J. EGGERS
Professeur de Virologie
Université de Cologne
Allemagne

Le Professeur Serge JARD
Professeur, Directeur de Recherches INSERM au Centre
CNRS-INSERM de Pharmacologie-Endocrinologie
Montpellier – France

Le Professeur Frits L. MEIJLER
Président du Wetenschappelijke Raad van het Interuniversitair
Cardiologisch Instituut Nederland
Utrecht – Pays-Bas

Le Professeur René OZON
Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie
Paris – France

Le Professeur Aldo PINCHERA
Professeur d’Endocrinologie
Président de l’Istituto di Metodologia Clinica
Université de Pise
Italie

Le Professeur Ole J. RAFAELSEN
Professeur de Psychiatrie Biologique
Psychochemistry Institute
Rigshospitalet
Copenhagen – Denmark

Le Professeur Maxime SELIGMANN
Professeur d’Immunologie à l’Université de Paris VII
France

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Discours du Baron van Outryve d’Ydewalle
Président de la Fondation Francqui

Sire,

In de rede die Hij onlangs te Straatsburg voor het Europees Parlement hield, heeft de Koning een oproep gedaan opdat alwie enige invloed kan uitoefenen in onze samenleving deze invloed zou aanwenden om onder meer aan de wetenschappelijke en technische vooruitgang een positieve inhoud te schenken, de betekenis van deze steeds vorderende evolutie uit te diepen en er de fundamentele sociale en diepmenselijke gevolgen naar waarde te schatten.

Aan Uwe Majesteit kan ik de verzekering geven dat de Raad van Bestuur van het Francqui-Fonds zich bij het door de Koning verdedigd standpunt volmondig en geestdriftig aansluit.  Graag stelt hij zich tot plicht de middelen waarover hij beschikt aan te wenden om de in de koninklijke toespraak uiteengezette aanbevelingen in de werkelijkheid om te zetten.

Samen met deze verzekering wil ik de Koning uit naam van de Raad van Bestuur zomede in mijn persoonlijke naam de gevoelens van dankbaarheid aanbieden die wij Hem toedragen voor Zijne aanwezigheid op deze plechtigheid, ook en niet het minst voor de aanmoediging die Hij steeds weet te geven aan het wetenschappelijk onderzoek.

Le Prix Francqui 1987 était reservé à un savant qui s’est distingué dans le domaine des sciences naturelles et médicales.

Se ralliant à la proposition du Jury international, composé de Professeurs  des Universités de Cologne, Copenhague, Helsinki, Montpellier, Oxford, Paris, Pise et Utrecht, le Conseil d’Administration de la Fondation Francqui a, en sa séance du 28 avril 1987, conféré le Prix Frqncqui 1987 à M. Jacques Urbain, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Né à Liège le 8 novembre 1943, le Lauréat a fait ses études universitaires à l’Université Libre de Bruxelles.

Licencié en Sciences Zoologiques avec la plus grande distinction en 1965, titulaire d’un doctorat obtenu avec la plus grande distinction et les félicitations du Jury en 1970, M. Jacques Urbain, actuellement professeur ordinaire et titulaire de la chaire de Physiologie Animale, a été successivement stagiaire, aspirant, chargé de recherches et chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique et directeur du Laboratoire de Physiologie Animale à l’Université Libre de Bruxelles.

Uit de naam van de Raad van Bestuur van het Francqui-Fonds bied ik Professor Jacques Urbain onze welgemeende gelukwensen aan.

Van deze gelegenheid wil ik tevens gebruik maken om onze dankbaarheid te betuigen aan de Juryleden en meer in het bijzonder aan onze Gedelegeerd-Bestuurder Professor emeritus Pierre de BIE, die de werkzaamheden van de Jury voorbereid heeft en er het secretariaat van waargenomen heeft.

Moge het de Koning behagen de aanwijzing van Professor Jacques Urbain als Laureaat van de Francqui-Prijs 1987 te willen onderschrijven en hem diensvolgens het diploma van onze Instelling te willen overhandigen.

Qu’il plaise au Roi de consacrer la désignation du Professeur Jacques Urbain comme Lauréat du Prix Francqui 1987 en lui remettant le diplôme de notre Institution.

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Discours du Professeur Jacques Urbain

Sire,

C’est avec joie et émotion que je vous dis ma reconnaissance pour le grand honneur que vous me faites en me remettant le prestigieux Prix Francqui.

Ce prix récompense aussi l’explosion étonnante de l’immunologie tant expérimentale que théorique ainsi que la qualité, le travail superbe et le dévouement de mes collaborateurs.  Quand je parle de collaborateurs, je pense non seulement aux chercheurs et mon laboratoire, mais aussi à ceux qui ont travaillé avec nous, parfois dans une longue errance, à l’Institut Pasteur de Paris, au Centre Médicale de Dallas, à l’Institut Wistar de Philadelphie……

J’ai eu la chance et le privilège de faire ces recherches dans le département de Biologie Moléculaire de l’Université Libre de Bruxelles dont les créateurs et les animateurs portent les noms perstigieux des Professeurs Jean Brachet, Raymond Jeener, qui m’a accueilli dans son laboratoire, Hubert Chantrenne et René Thomas, tous Prix Francqui.

Que mes collaborateurs et mes maîtres reçoivent ici l’expression de ma gratitude et de mon admiration.

Je voudrais aussi remercier du fond du coeur, les institutions qui ont permis le développement de nos recherches : l’Université Libre de Bruxelles, le Fonds National de la Recherche Scientifique, les Services de Programmation de la Politique Scientifique, la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite, le Ministère des Technologies Nouvelles de Wallonie, l’Institut pour l’Encouragement de la Recherche Scientifique et de l’Industrie.

Sire, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Nous sommes tous familiers avec la notion d’immunité.  Dès notre enfance, on nous vaccine, on nous immunise contre des maladies autrefois terrifiantes.  L’immunité, à première vue, notion simple, est due à l’existence d’un système biologique complexe, paradoxal, fascinant, énigmatique.  Cette complexité fait que l’expression du système immunitaire est souvent remplacée aujourd’hui par « réseau » immunitaire.

La propriété la plus fascinante du réseau immunitaire est l’effarante diversité des réponses immunes.  Un des composants de la réponse immune est la production de molécules particulières, les anticorps, qui reconnaissent sélectivement la substance étrangère (ou antigène), s’y lient et la neutralisent.  Mais un lapin, une souris ou un homme peut fabriquer des anticorps non seulement contre les agents pathogènes de sa niche écologique, mais aussi contre l’albumine de crocodile, l’insuline d’ornithorynque ou une carboxylase d’épinard.  En d’autres termes, le répertoire immunitaire est d’une extraordinaire diversité.  On estime à l’heure actuelle qu’une souris est capable de fabriquer entre un et dix milliards de molécules d’anticorps, toutes différentes les unes des autres.

Ceci lève bon nombre de questions.  La moindre n’est pas la suivante : les anticorps sont des protéines et sont donc codés par des gènes.  Existerait-il autant de gènes différents qu’il y a d’anticorps ?  Il faudrait alors en supposer plusieurs milliards, beaucoup plus que tous ceux nécessaires au fonctionnement de l’organisme.  En fait, la taille du génome d’une souris permet le codage potentiel de quelques millions de gènes seulement.  Le nombre de gènes codants est beaucoup plus petit puisque les séquences codantes sont des îlots perdus dans une masse non signifiante.  Le réseau immunitaire est un paradoxe, un défi pour la génétique, pour le darwinisme classique.

Poussons le raisonnement plus loin.  Si le système immunitaire est capable de prévoir l’imprévisible, pourquoi ne tourne-t-il pas ses forces vers ce qu’il est convenu d’appeler « le soi » (les molécules de l’organisme contenant le système immunitaire) ?

On sait depuis longtemps que le système immunitaire sait faire la différence entre le « soi » et le « non-soi », sauf accident déclenchant les maladies autoimmunes….et ceci n’est pas une mince singularité….Après le paradoxe de l’effarante diversité, nous sommes maintenant confrontés aux problèmes de régulation et d’organisation des chaos moléculaire.

Le paradoxe devient encore plus paradoxal si l’on revient aux observations originales de Jacques Oudin et de H. Kunkel et popularisé dans le monde scientifique sous le nom d’idiotypie.  Prenons l’hémoglobine de lapin : de quelque animal qu’on l’isole, elle possède même structure et séquence d’acides aminés.  Par contre, immunisons cinquante lapins avec le même antigène, par exemple une bactérie Salmonella.  Chaque animal répond par la synthèse d’anticorps spécifiques, mais les anticorps synthétisés par le lapin n° 1 sont différents de ceux synthétisés par le lapin n° 2 et les autres.  En effet, si les anticorps anti-Salmonella du premier lapin sont injectés dans le deuxième lapin, celui-ci va synthétiser des anticorps contre les anticorps du premier lapin.  Ce sont des anticorps de deuxième génération ou anticorps antiidiotypiques reconnaissant les idiotypes du premier lapin (anticorps classiques, encore appelés anticorps de première génération).

Ainsi, non seulement le système prévoit l’imprévisible, mais peut faire des anticorps contre des anticorps contre des anticorps….. et le chercheur à l’impression de sombrer dans la folie.

C’est à ce point précis que nos recherches entrent en jeu.

De la découverte stupéfiante de Jacques Oudin allait surgir une hypothèse baptisée hypothèse du réseau idiotypique dont les plus sceptiques disent que, si elle était correcte, elle serait l’équivalent de l’intrusion de la mécanique quantique dans la physique classique.  Même en supposant que l’hypothèse est incorrecte (ce qui est peu vraisemblable, selon les dernières données de l’immunologie), elle a mené à la création de nouveaux types de vaccins idiotypiques dans lesquels la bactérie ou le virus est remplacé par des éléments du système immunitaire lui-même.

Revenons à l’hypothèse.  Le système immunitaire possédant un répertoire extrêmement diversifié, ou en d’autres termes, étant « complet », il ne peut éviter de se reconnaître lui-même.  Dans les concepts de l’immunologie classique, cette autoreconnaissance conduirait à la destruction du système immunitaire lui-même.  Dans l’hypothèse du réseau, l’inverse est imaginé : cette autoreconnaissance est la base de la régulation du système.  En d’autres termes plus simples, il suffit d’imaginer que toute réponse immune classique est suivie d’une seconde réponse immune, spécifiquement dirigée contre la première et régulant la grandeur, l’intensité et la première réponse immune.  L’hypothèse nous offre, en principe, une arme puissante pour manipuler une réponse immune, dans un sens désiré, choisi par l’expérimentateur.  On pourrait diminuer d’une manière spécifique une réponse immune qui va provoquer le rejet d’un coeur greffé ou déclencher une « hyperréactivité » du système, afin de combattre une tumeur, par exemple.  On le voit, outre son intérêt fondamental, l’hypothèse n’est pas sans intérêt pour la médecine.

Il reste néanmoins une difficulté de taille.  Si toute réponse immune est régulée par une seconde réponse, que faire d’une troisième ou d’une quatrième réponse ? Une telle perturbation se propagerait dangereusement à travers tout le système.  C’est la raison pour laquelle nous avons étudié expérimentalement les propriétés des anticorps de première, deuxième, troisième, quatrième génération.  Nous avons eu l’agréable surprise (agréable, parce que nous l’avions prédite) de trouver une mathématique amusante et inhabituelle : 1 = 3 et 2 = 4.  En fait, les anticorps de troisième génération sont très semblables à ceux de première génération et ceux de la quatrième génération sont très semblables à ceux de la deuxième.  Il n’y a donc pas de perturbation à travers tout le système, mais un bouclage rapide.  De plus, comme les anticorps de troisième génération sont très semblables à ceux de première génération, eux-mêmes induits par l’antigène, on peut remplacer l’antigène (la bactérie, le virus, la cellule tumorale) par des anticorps de deuxième génération.  C’est ainsi que nous avons pu induire des anticorps antibactériens ou antiviraux dans des animaux qui n’ont jamais vu le virus, ni la bactérie.  Cette nouvelle voie de vaccination est maintenant à l’étude, dans le monde entier afin d’étudier son efficacité dans la lutte contre les maladies parasitaires, l’hépatite, le SIDA et bien d’autres.

Plus récemment, afin de résoudre certaines contradictions théoriques fondamentales, nous avons été amenés à proposer « l’hypothèse du miroir brisé », suggérant que toute réponse immune résulte d’une rupture de symétrie.  Mais ceci est une autre histoire et j’espère, le début d’une nouvelle aventure.

Sire,

La joie et l’émotion que je ressens est tempérée par une tristesse.  Je sais que toute tristesse est la soif d’une autre lumière mais parfois l’angoisse qui est source de création peut devenir dépression qui est la négation de toute création.  Je crois que cette dépression est ressentie par beaucoup de chercheurs brillants pour qui « les lendemains qui chantent » ne viendront peut-être jamais.  A moins que……A moins que certaines décisions simples et évidentes soient prises d’urgence.

André Malraux, dans la « Condition Humaine » écrit qu’il faut transformer en Conscience une Expérience aussi large que possible ».

Nous avons l’expérience ; la conscience est plus difficile à atteindre.  La Science devient de plus en plus difficile, chaque chercheur n’est plus qu’un îlot perdu, battu par les vents du doute et submergé par les flots d’une connaissance difficile à maîtriser.  Il serait douloureux et dommageable pour ce pays de perdre l’expérience de nos chercheurs.  Une simple mesure d’accroissement de la dotation d’une Institution aussi remarquable que le Fonds National de la Recherche Scientifique, créé à l’initiative de Sa Majesté le Roi Albert, permettrait d’éviter la dépression, la perte et la fuite de nos meilleurs chercheurs.

Sire, j’ai peur, peur pour la Recherche Fondamentale, peur pour les chercheurs.  Tous les chercheurs de ce pays connaissent votre Ecoute Attentive, votre intérêt pour les sciences et les arts.

Sire,

Tous les chercheurs de ce Royaume, toutes origines linguistiques et opinions philosophiques confondues, implorent, plus que jamais Votre Soutien.  Les chercheurs ne veulent plus prendre le chemin de l’exil.  Ils veulent travailler pour le bien-être et la santé de ce pays.

Il reste aux autorités compétentes à prendre les mesures adéquates en utilisant le seul critère admissible : la qualité.

Permettez-moi, Sire, de finir en utilisant un court extrait du Discours Nobel, du grand écrivain Albert Camus que j’admire profondément.

« Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer, pour finir, l’étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m’accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n’en ont reçu aucun privilège….. ».

* * *