1978 – Rapport Jury Jacques Nihoul


R
emise solennelle du Prix Francqui par
Sa Majesté Le Roi Baudouin et la Reine Fabiola
à la Fondation Universitaire le 23 mai 1978

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

Jacques Nihoul

Curriculum Vitae

Né à Ans le 6 juin 1937

Diplômes Universitaires :

Ingénieur Physicien, Université de l’Etat à Liège, 1960
Master of Science in Mathematics, M.I.T. (USA), 1961
Doctor of Philosophy in Applied Mathematics and Theoretical Physics », Université de Cambridge (GB), 1965

Fonctions :

Professeur à l’Université Catholique de Louvain depuis 1965
Professeur ordinaire à l’Université de l’Etat à Liège depuis 1966

Curriculum Vitae :

Boursier de la Ford Foundation, Université de Cambridge (GB), 1959
Graduate fellow de la Belgian American Educatinal Foundation, M.I.T. (USA), 1960

Graduate Fellow Nato Science Committee, Université de Cambridge (GB), 1961-1962
Graduate fellow Trinity College, Université de Cambridge (GB), 1963
Professeur visiteur à la University of California (USA), 1970

*  * *

Rapport du Jury (1 avril 1978)

Considérant que le Professeur Jacques Nihoul a apporté des contributions nombreuses et importantes à la théorie fondamentale des phénomènes hydrodynamiques dans l’océan, particulièrement les propriétés stochastiques de la turbulence;

considérant la formulation par lui de modèles mathématiques susceptibles de donner une représentation numérique à l’ensemble du système des processus physiques, chimiques et biologiques qui agissent les uns sur les autres dans l’océan;

considérant sa prééminence dans un vaste programme interdisciplinaire qui a attiré l’attention mondiale et a augmenté le prestige de la Belgique dans ce domaine;

considérant l’intérêt pratique et l’extrême importance de l’application de ses travaux pour tous dans l’exploitation future des océans;

considérant dès lors le renom international de son oeuvre;

décide de conférer le Prix Francqui à Monsieur Jacques NIHOUL, Professeur à la Faculté des Sciences de l’Université de l’Etat à Liège et à la Faculté des Sciences de l’Université Catholique de Louvain

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Bernhard Frankenhaeuser
Professor of Neurophysiology

Director The Noble Institute for Neurophysiology
Stockholm – Suède
                                                                                Président

et

Le Professeur Roger Assan
Professeur Hôpital Hôtel Dieu

Paris – France

Le Professeur Jens G. Balchen
Professeur of Engineering Cybernetics at the University of Trondheim

Norvège

Le Professeur Geoffrey Burnstock
Professor – Head of Department  of Anatomy and Embriology

Univesity College
London – UK

Le Professseur Jean-Pierre Ebel
Professeur de Biochimie à l’Université Louis Pasteur

Strasbourg – France

Le Professeur Lars Ernster
Professor of Biochemistry

University of Stockholm
Suède

Le Professeur Ernesto Falcoff
Chef du Service Fondation Curie

Institut du Radium
Paris – France

Le Professeur Anton Hauge
Professor Institute of Physiology

Oslo – Norvège

Le Professeur Kenneth E.F. Hobbs
Professor of Surgery

University of London
UK

Le Professeur Luciano Martini
Professeur – Directeur de l’Istituto di Endocrinologia

Université de Milan
Italie

Le Professeur Mark H. Richmond
Professor of Bacteriology

University of Bristol
UK

Le Professeur John R. Vane
Director – Wellcome Research Laboratories

Beckenham – UK

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Discours du Baron J. van der Meulen
Président de la Fondation Francqui

Sire,

Madame,

Mes paroles seront toutes de remerciements.

A sa Majesté Le Roi, qui a bien voulu se soustraire aux lourds soucis que Lui inspirent la vie de notre pays dans les circonstances économiques actuelles en nous donnant ainsi une nouvelle marque de Sa bienveillance personnelle et de son intérêt constant pour tout ce qui touche aux activités scientifiques de la Belgique.

A Sa Majesté La Reine qui, en daignant assister à la cérémonie de ce jour, confère à l’hommage rendu à ce Lauréat du Prix Francqui 1978 une valeur inestimable.

Je prie Leurs Majestés d’agréer les remerciements fervents du Conseil d’Administration et de me permettre de Leur dire en quelques mots très simples mais profondément sincères que le monde académique s’associe aux sentiments d’affection que ressent pour Elles le peuple belge tout entier.

Sire,

Madame,

Mesdames,

Messieurs,

Au cours de sa séance du 3 avril dernier, notre Conseil d’Administration – se ralliant à l’avis du Jury qu’il avait chargé de lui faire rapport – a décerné le Prix Francqui 1978 à M. Jacques NIHOUL, né à Ans, le 6 juin 1937, Professeur à l’Université Catholique de Louvain en 1965 et Titulaire de la Chaire de Mécanique à l’Université de l’Etat à Liège depuis 1966.  Il a également enseigné en 1970 à l’University of California (USA) à titre de Visiting Professor et est l’auteur de nombreuses publications scientifiques internationales.

Ce Jury, composé d’éminentes personnalités scientifiques étrangères, estima que :

– le Professeur Jacques NIHOUL a apporté des contributions nombreuses et importantes à la théorie fondamentale des phénomènes hydrodynamiques dans l’océan, particulièrement les propriétés stochastiques de la turbulence;

– la formulation par lu de modèles mathématiques susceptibles de donner une représentation numérique à l’ensemble du système des processus physiques, chimiques et biologiques qui interagissent entre eux dans l’océan;

– sa prééminence dans un vaste programme interdisciplinaire qui a attiré l’attention mondiale et a augmenté le prestige de la Belgique dans ce domaine;

– l’intérêt pratique et l’extrême importance de l’application de ses travaux pour tous dans l’exploitation future des océans;

et que le renom international de son oeuvre avait notablement accru le prestige de la Belgique dans ce domaine.

Interprète des sentiments qui nous animent, je me fais une joie d’apporter au Lauréat l’expression de nos plus vives félicitations.

Le Conseil m’a également chargé d’exprimer la reconnaissance de la Fondation Francqui aux Membres du Jury.

Sire,

Madame,

En acceptant de présider la remise du Prix Francqui 1978, le Roi et la Reine nous honorent infiniment et comblent tous nos voeux en donnant à cette cérémonie dont la simplicité est voulue, un maximum d’éclat.

Sire,

Mevrouw,

Ik herhaal aan Hunne Majesteiten de hulde van dankbaarheid van al de aanwezigen voor de eer die de Koning en de Koningin vandaag nogmaals betuigen aan de Francqui-Stichting en voor Hun bestendige belangstelling ter bevordering van de wetenschap in België.

* * *

Discours du Professeur Jacques Nihoul

Sire, Madame,

C’est avec Joie et émotion que je viens de recevoir des mains du Roi, en présence de la Reine, la haute distinction qu’est pour le monde scientifique le Prix Francqui.  Au nom de tous les chercheurs qui ont participé à mes côtés à la grande aventure de la modélisation mathématique des systèmes naturels, et en particulier, des systèmes marins, je tiens à remercier Leurs Majestés pour l’intérêt qu’Elles témoignent et à cette science nouvelle de la nature qui cherche, au-delà d’un inventaire stérile, à comprendre les fonctions dynamiques de notre environnement et à prédire son évolution afin, tout à la fois, d’en protéger l’homme et de la protéger de l’homme.

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,

J’ai consacré vingt ans de ma vie à l’étude de la turbulence, ce mouvement désordonné des fluides par lequel la nature dispose de ses excès et assure, à l’échelle moyenne des observations humaines, la stabilité de ses structures.

La turbulence se conçoit comme une superposition de tourbillons de toutes tailles, formant une cascade énérgétique qu’on peut schématiser comme suit; les plus grands tourbillons conservant l’harmonie et la sérénité des grands phénomènes et des lentes mutations qui leur ont donné naissance, engendrent de plus petits, qui, à leur tour, en animent d’autres, transférant l’énergie à toutes les échelles de temps et d’espace qui forment le contexte des activités humaines.  Ainsi, courants et volutes géants de l’océan et de l’atmosphère, alimentent-ils les méso- et les micro-climats marins et atmosphériques auxquels l’homme est confronté à son avantage ou à son détriment ; la sérénité et l’harmonie des grandes évolution planétaires, protégeant et nourissant la vitalité de l’air, des rivières et des mers qui forment notre environnement immédiat et le support de toute vie sur la terre.

La turbulence a cette caractéristique essentielle que les tourbillons en se brisant perdent la mémoire de leurs prédécesseurs et des structures fondamentales qui, à grande échelles, leur ont donné naissance.

Aujourd’hui, en ces lieux prestigieux, tant par la grandeur historique de l’Institution qui nous accueille que par l’éminence de l’assistance, je me sens un peu comme ce modeste tourbillon apprécié pour son activité méso- ou micro-climatique qui aurait soudain la grâce de percevoir les grands mouvements dont il est issu, les traditions de grandeurs et dignités scientifiques qui ont suscité les grands projets, les grandes espérances, en ne cessant d’encourager la recherche de qualité et la vocation du chercheur.

La très haute distinction qui m’est conférée aujourd’hui, je la ressens comme attribuée, à travers moi, à tous ces chercheurs qui, eu sein d’une équipe interdisciplinaire et interuniversitaire, m’ont aidé à concrétiser la vision que j’avais de la science moderne de la nature ; et par-delà ces chercheurs, à tous ceux qui, comme moi, sont convaincus que l’homme doit étudier le monde à l’échelle de l’homme.

Il y a un siècle que consacrant tous ses efforts à l’infiniment petit ou à l’infiniment grand, l’homme se trompe de plusieurs ordres de grandeur sur ses propres dimensions.  Plus précis dans le calcul d’une trajectoire interplanétaire que dans celle d’un ouragan, plus capable de prédire le passage d’une comète que l’apparition d’un tremblement de terre, connaissant mieux la thermodynamique de ses machines que celle des tornades et des trombes d’eau plus apte à identifier des particules élémentaires qui ne sont peut-être que des mirages, que les espèces vivantes indispensables à la survie de l’humanité, à l’écoute de signaux cosmiques émis il y a des millénaires au lieu des appels de détresse de régions sinistrées par les débordements d’une nature incomprise, l’homme avait axé ses recherches sur une science artificielle créée par lui afin d’explorer les propriétés de la structure interne de la matière et de l’univers lointain qui conservent l’ordonnance que leur inventeur leur confèrent quand les imaginant au travers de ses sondes microscopiques ou de ses télescopes géants, il croit les découvrir.

Ce qui triomphe aujourd’hui, c’est la physique de la nature, celle des ouragans et des tremblements de terre, celle des sécheresses et des inondations, celle des courants marins et des tourbillons de l’atmosphère.

Cette physique naturelle est avant tout un combat, combat entre l’ordre et le désordre ; l’ordre qu’induit la stratification de l’atmosphère et de la mer, l’organisation des populations biologiques, le déterminisme des réactions chimiques; le désordre dans lequel la nature, perpétuellement instable dans ses configurations les plus simples, finit par s’épanouir dans l’harmonie aléatoire de la turbulence.

La préoccupation dominante de mes recherches a été la compréhension, la paramétrisation et la modélisation mathématique de ces deux effets opposés et sans cesse confrontés dans notre environnement.

L’organisation, le maintien de structures sont toujours liés à l’existence dans le système de mécanismes déterministes capables, d’une part de sélectionner un était organisé plus avantageux que les autres, et d’autre part d’exercer un contrôle tendant à ramener le système dans cet état, aussitôt que celui-ci a été modifié par une des multiples perturbations qui sont le revers de la richesse de la nature.  L’existence de tels mécanismes se détectent tout d’abord par la modification des relations énergétiques à l’état organisé du système, ensuite, pour une résistance plus grande de celui-ci aux perturbations (stabilisation) et généralement, par la possibilité d’oscillations, par lesquelles le système, constamment entraîné hors de son état organisé, y est sans cesse ramené.  L’étude des mécanismes de structuration passe par l’examen de ces différents aspects. 

Le désordre, l’apparition de la turbulence sont toujours liés à l’existence dans le système de mécanismes non-linéaires coupables, d’une part de favoriser l’amplification et la prolifération des perturbations aussitôt qu’une faille dan sle dispositif de contrôle du système a permis à l’une d’elles de grandir, et d’autre part de permettre, à la faveur de ce processus une dispersion de l’information conduisant rapidement de l’état déterministe à un état aléatoire dont seules les valeurs moyennes peuvent être interprétées dans un sens déterministe.

C’est à ces valeurs moyennes reproductibles que le naturaliste s’intéresse.  Il ne peut cependant les décrire sans prendre en considération l’effet des fluctuations erratiques qui leur sont superposées et qui les déterminent dans une large mesure.  Il lui faut une compréhension solide des mécanismes de la turbulence et des moyens de les modéliser dans des contextes parfois très différents.

L’étude de la turbulence, sa modélisation, constitue le coeur de ma contribution à la recherche scientifique fondamentale.

C’est ma spécialisation dans ce domaine qui m’a tout naturellement appelé à exercer des fonctions de direction et de coordination scientifique dans des programmes de recherches orientées, consacrés à l’étude de l’environnement où la turbulence, sans cesse régénérée, est tour à tour, un facteur de troubles ou d’épuration.

Poursuivant en parallèle des travaux expérimentaux à la station de Recherches Océanographiques de l’Université de Liège, STARESO, à Calvi, dirigée par mon éminent Collègue le Professeur Distèche, je me suis intéressé plus particulièrement aux problèmes de la turbulence marine où désordres turbulents et structures stratifiées, non seulement se combattent, s’inhibent ou s’estompent, mais le plus souvent cohabitent ; régions turbulentes entretenues par les processus atmosphériques et régions stratifiées préservées du désordre voisinant de part et d’autre d’une frontière, la thermocline, marquée par des gradients importants de masses spécifiques et de températures.

Ces études de base ont fourni les éléments indispensables à la paramétrisation des processus marins et à la modélisation mathématique des systèmes marins, entreprises dans le cadre du Projet Mer du Programme National sur l’Environnement Physique et Biologique.

La modélisation des systèmes marins se pose à nouveau en termes de compétition entre le goût de la nature pour le désordre turbulent et la maintenance de structures organisées par l’ordonnance déterministe des lois de la Physique, de la Chimie et de la Biologie : régularité des marées et permanence des courants résiduels, cinétique chimique, comportement des sédiments, sélectivité des relations écologiques entre populations rivales et proies-prédateurs.

Les sciences de la nature investies ces dernières années d’un rôle nouveau dans la protection et la gestion de la qualité de l’environnement, avaient un besoin désespéré de moyens nouveaux.  Il est peut-être fortuit que cette situation ait coïncidé avec l’avènement des grands ordinateurs et des puissants moyens de calcul.  C’est pourtant la disposition de ces gigantestques moyens de calcul qui, au travers de la philosophie de la modélisation mathématique, a permis à ces sciences de la nature de faire face à leurs nouvelles obligations en traduisant leurs concepts généraux, les observations partielles de la Systématique en termes quantifiables reproductibles et vérifiables.

Sire, Madame,

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

En m’attribuant le Prix Francqui, un Jury éminent et la Conseil d’Administration d’une Fondation qui s’est assigné comme tâche de favoriser le développement du haut enseignement et de la recherche scientifique en Belgique veulent consacrer la maturité d’une génération nouvelle de sciences naturelles, empruntant sa philosophie à l’étude des systèmes et à la modélisation mathématique et se mettant au service de la Société pour l’aider à ne pas détruire son cadre de vie.  Nous l’interprétons comme un encouragement et une mission de persévérer dans cette voie où se côtoient des chercheurs de toutes les disciplines, de toutes formations, et plus spécialement, en Océanographie, Centre d’Excellence et figure de proue de la recherche interdisciplinaire en Belgique.

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