1968 – Rapport Jury Jules Horrent

Remise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le
13 juin 1968

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

Jules Horrent

Curriculum Vitae

Né à Seraing-sur-Meuse, le 11 avril 1920

Diplômes universitaires :

Docteur en philosophie et lettres (philologie romane), Université de l’Etat à Liège, 1947.
Agrégé de l’enseignement supérieur, Université de l’Etat à Liège, 1951.

Fonctions :

Professeur ordinaire à la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de l’Etat à Liège : langues et littératures romanes.

Curriculum vitae :

Assistant à l’Université de l’Etat à Liège, 1942-1948.
Boursier extraordinaire du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1948-1949.
Professeur à l’Ecole de Commerce et d’Administration de la Ville de Liège, 1949-1952.
Chargé de cours à l’Université de l’Etat à Liège, 1952-1956.
Professeur ordinaire, 1956.

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Rapport du Jury (20 avril 1968)

Considérant les aptitudes à la critique et àla synthèse du Professeur Jules Horrent, notamment dans les domaines épiques français et espagnol du moyen âge,

considérant qu’il a exprimé dans ces domaines de vues personnelles concernant la genèse du genre et l’appréciation des oeuvres,

considérant enfin que ses ouvrages sont devenus des classiques des études médiévales,

décide de conférer le Prix Francqui 1968 à Monsieur Jules Horrent, Professeur à la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de l’Etat à Liège.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Gabriel Marty
Professeur à l’Université de Toulouse

                                                                          Président

et

Le Professeur John Michael Cullen
Senior Research Officer à l’Université d’Oxford

Le Professeur Martin de Riquer
Professeur à l’Université de Barcelone

Le Professeur Richard Charles Oldfield
Professeur honoraire de l’Université d’Edimbourg

Le Professeur René Rodière
Professeur à l’Université de Paris

Le Professeur Jean Rychner
Professeur à l’Université de Neuchâtel

Le Professeur Stuiveling
Professeur à l’Université d’Amsterdam

Le Professeur Jacques Voisine
Professeur à l’Université de Paris

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Discours de Monsieur Jean Willems
Président de la Fondation Francqui

Sire,

Au nom de mes Collègues, je salue avec grande déférence la présence du Roi à la cérémonie de ce jour.  Nous sommes conscients de l’honneur que Votre Majesté fait à la science en Belgique en procédant annuellement à la remise du Prix Francqui.

Ce soutien du Chef de l’Etat constitue pour le Conseil d’administration de la Fondation un sujet de fierté et un encouragement pour poursuivre inlassablement ses travaux.

Beaucoup d’entre nous se souviennent avec reconnaissance de ce que le 30 mai 1963, Sa Majesté la Reine nous fit l’honneur de Se joindre au Roi.  Nous espérons qu’il plaira à Votre Majesté d’assurer la Reine des sentiments de très respectueux attachement de cette assemblée.

Aujourd’hui, c’est un spécialiste de la littérature française et espagnole du moyen âge qui se trouve être couronné.

  1. Jules HORRENT, né en 1920, a fait ses études de philologie romane à l’Université de Liège études qui furent sanctionnées par le titre de docteur en 1947.

Assistant à l’Université de Liège de 1942 à 1946, il reçut une bourse extraordinaire du Fonds National de la Recherche Scientifique qui lui permit de se consacrer à la rédaction d’une thèse d’agrégation de l’enseignement supérieur qui fut reçue à l’unanimité en 1951.

Chargé de cours en 1952, il devint professeur ordinaire à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège en 1956.  Depuis 1965, il est titulaire de la chaire de langues et littératures romanes.
 

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Discours du Professeur Jules Horrent

Sire,

Que votre Majesté veuille agréer l’hommage de la profonde reconnaissance de celui à qui Elle daigne remettre la haute dinstinction scientifique qu’est le Prix Francqui.  Sa présence à cette séance solennelle manifeste avec éclat combien Elle est attentive au développement de toutes les sciences et au progrès de l’enseignement universitaire.  Elle apporte leur consécraction aux diverses sciences humaines et parmi elles à l’étude philologique et littéraire de deux cultures prestigieuses, l’espagnole et l’italienne, dont Votre Majesté sait la grandeur et la beauté.

Monsieur le Président,

Dans un monde où se bousculent les exploits de la science appliquée, où les mots de haute technicité et de rendement brillent de touts leurs feux, quelle est la fonction de la philologie, appelée ici aujourd’hui à un si haut honneur? La philologie ramène à l’homme, à l’expression personnelle de lui-même.  En un temps où l’attrait du monde fait que chaque homme, détourné de soi, n’a le loisir de s’exprimer qu’en formules déjà lues ou entendues ou, chose plus grave pour l’esprit, que de penser en schèmes conceptuels tout forgés, la philologie, scrutation du beau et saint langage, aide en déliant uen parole devenue figée à libérer la pensée et, par cette libération spirituelle, à faire sentir que l’homme n’existe que dans les hommes, les hommes qui sont les moteurs et les découvreurs du monde.  Le privilège que j’ai eu de vivre en intimité, dans le temps comme dans l’espace, avec des formes de pensée et de langage à la fois proches et différentes, m’a convaincu que l’individu, avec son idiosyncrasie, ses nuances particulières, ses contours personnels, prime le type, façonné à partir de ressemblances systématisées, et constitue la vraie source vivante, créatrice de beauté et d’énergie.

Cette vision personnaliste des choses, je la dois, comme tous mes compagnons d’études, à la leçon de ceux qui, à la section de philologie romane de l’Université de Liège, ont fait de nous ce que nous sommes.  Et c’est un bien doux souvenir, en un jour de fierté comme celui-ci, que d’évoquer Servais Etienne, hélas disparu, qui défendait si bien la philologie, enseignant l’abnégation devant l’objet littéraire, la dévotion au texte, l’individualité des oeuvres; de repenser à M. Fernand Desonay, pour qui telle oeuvre ne s’écrit pas de la même encre que telle autre; de se rappeler les traits si expressifs de M. Rober Vivier, à qui je dois d’avoir fait peut-être de la philologie avec quelque sentiment poétique.  Et que dirais-je de mon Maître, M. Maurice Delbouille, pour qui la récompense qui m’honore, venant après celle qui couronna les mérites de M. Louis Remacle, est un triomphe ?  C’est de lui que je tiens ce que le Jury du Prix Francqui a relevé d’estimable dans mes travaux, à lui que je dois d’avoir pu comme assistant faire mes premiers pas dans la carrière scientifique, qui a dirigé mes efforts d’une main affectueuse et sûre, de la licence au doctorat et du doctorat à l’agrégation, et qui aujourd’hui encore reste soucieux de celui qui se veut être bien plus son disciple que son collègue.

Après avoir passé au service du Professeur Delbrouille six années fructueuses, j’ai eu le bonheur d’être accueilli dans la grande famille savante qu’est le Fonds National de la Recherche Scientifique.  C’était en 1948.  Il y a vingt ans.  La cérémonie de ce jour prend un peu à mes yeux les couleurs d’une fête d’anniversaire.

L’éminent jury international qui a examiné mes travaux, a jugé mes efforts dignes de consécration.  Qu’il soit remercié de son soin et de sa bienveillance.  Aux membres du Conseil de la Fondation Francqui, qui ont bien voulu sanctionner la proposition du jury, va aussi ma profonde et sincère gratitude.

Sire,

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Etre lauréat du Prix Francqui est un honneur dont je sens toute la grandeur, mais aussi tout le poids.  Cet honneur impose en effet un devoir, celui de poursuivre la tâche commencée, de faire naître et d’entretenir chez ceux qui prendront le relais la pasion de la recherche désintéressée et le goût ardent pour la discipline élue, qui par-delà ma personne voit ici sa dignité exaltée.  Aussi, quand je retournerai chez moi, dans les forêts d’Ardenne, qui nous dictent « une loi verticale et sévère » si propice à la méditation philologique, et où se répondaient de merveilleux échos épiques, sera-ce pour remettre mes pas dans les pas anciens et me préparer à de nouveaux voyages littéraires, vers les parages lointains du moyen âge, où les lettres françaises ont connu leur première universalité, et vers ces terres de haute poésie et de noble spiritualité que sont la grande Espagne, le lyrique Portugal et la belle Italie.

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